samedi 26 janvier 2008

AFFAIRE ETONDE EKOTO: VERS LA FIN DU REGIME ????

Dans son éditorial du 27 février 2006, paru dans le journal "La Nouvelle Expression", la très corrosive journaliste Suzanne Kala-Lobé voyait dans l'opération " Epervier" de la "poudre aux yeux", une "manoeuvre grossière" effectuée à grands renforts de publicité, qui en plus de répondre aux demandes des bailleurs de fonds, viserait à plus long terme à une révision constitutionnelle permettant à Paul Biya de se représenter une nouvelle fois. Bingo !
Force est de constater qu'elle avait vu juste, comme le démontre lle procès du PAD, l'emprisonnement du Colonel Edouard Etonde Ekoto, jugé coupable dans aucune preuve matérielle de détournement de fonds. Le pouvoir Camerounais cherche t-il des arbres pour cacher la grande forêt de la corruption au Cameroun depuis plusieurs décennies? Sans aucun doute !
En tout cas, au fur et à mesure que se multiplient les arrestations " ciblées", comme la dernière en date, celle d'un Lamine Mbassa, la journaliste Suzanne Kala-Lobé se fait plus accusatrice que jamais, elle persiste et signe, se posant même dans son dernier éditorial une question que la grande majorité de ses confrères ne se permettraient pas : "et si c'était la fin de règne du pouvoir en place ?" Osé, n'est-ce pas ?

L3E




Par Suzanne Kala-Lobé

"La criminalité économique"

L’actualité arrache aux journaux des unes retentissantes. Le feuilleton Etonde Ekoto fait vendre, les règlements de comptes d’un régime qui s’essouffle et qui moralise de manière spectaculaire sur des affaires qui, loin d’être jugées, sont les ingrédients qu’il faut pour faire croire le peuple et l’illusionner sur le bien fondé des méthodes Amadou Ali, des intentions du Prince et de l’indépendance de la justice (depuis quand l’ordre judiciaire est devenu capable d’être autonome du politique ?).
Les enquêtes diligentées par le vice-premier ministre, Amadou Ali, auraient donc permis d’identifier des personnalités suspectées de crime économique au Cameroun, dont les activités délictueuses portent atteinte à la sécurité du patrimoine national.
Si l’on s’en tient à la définition de ce terme stricto sensu, tout se passe, cependant, comme si le Cameroun et sa justice avaient brusquement la capacité de démêler les fils ténus de la construction d’un système qui s’est bâti sur la prévarication et les prébendes, et d’isoler des éléments qui se seraient montrés plus gourmands, plus cupides ou moins malins que les autres. Le débat public sur les arrestations des “ délinquants ” en col blanc a été enfermé dans un ordre moral où le peuple se satisfaisait de quelques exemples, comme si, pour combattre la racine du mal, il suffisait de quelques gibiers de potence. Le cas de l’arrestation de Lamine Mbassa, ancien directeur du Defi (direction économique et financière) de la Communauté urbaine de Douala, est symptomatique de l’ambiance de règlements de comptes, propre aux fins de règne, dénoncée par de nombreux observateurs. La nature des verdicts, les procédures, les méthodes, tout laisse penser que l’enjeu est moins de rendre justice ou de combattre le crime que d’avoir des exemples, mais pas nécessairement dans le sens où le croit l’opinion.

L’autre observation sur le déclenchement de l’Opération Epervier et les moyens de sa communication concerne les personnes visées et le type d’entreprises concernées (Sic, Crédit foncier, Feicom, Port autonome, Cud éléments du patrimoine). Tout laisse croire à une opération où le plus important est de rendre spectaculaire le montant des sommes, de pointer du doigt des “ possédants ” jugés arrogants, hautains etc., pour non seulement donner au peuple des cibles pour exulter, cristalliser les frustrations, en lui faisant croire que c’est à cause de cet argent détourné que les salaires sont si bas, la vie aussi chère et la misère toujours plus grande, mais aussi, en un certain sens, noyer le poisson. En offrant des têtes à la morale des biens pensants, en grossissant les titres et les chiffres, on assiste à une véritable manipulation de l’opinion, pour éviter qu’elle ne prenne la mesure des enjeux. Car, il faut revenir à la base du discours et des intentions politiques pour savoir si l’arme de la justice est la bonne et il faut identifier le crime économique. Pour ne pas s’arrêter en chemin, il faut bien détailler avec précision l’historiographie de la criminalité économique, comment elle se manifeste dans le temps et dans l’espace.
Il faut re-contextualiser l’Opération Epervier au Cameroun, la mettre en perspective en la comparant à d’autres opérations dans le monde pour lutter contre les crimes économiques, afin d’évaluer si le dispositif mis en place par Amadou Ali, sur instruction du chef de l’Etat, vaut son poids d’efficacité et un quelconque rapport avec une certaine idée de la justice. Dans ces colonnes, il nous est arrivé plusieurs fois de poser une question en utilisant deux pensées pour décrypter les événements ayant trait à la lutte contre le crime économique au Cameroun.
La question est : “ La justice est-elle efficace au Cameroun ?” Et son corollaire : “L’efficace est-il juste ? ”.

Puis, bien souvent, j’ai recours à des pensées qui suggèrent de regarder derrière chaque événement les motivations des acteurs et leur sens réel …. Parce que, écrit Mudimbe, “il faut se méfier de ces évidences qui ne sont que des vérités paresseuses ” et, en écho, lui répond Cheikh Aliou N’Dao : “Quand la mémoire va chercher du bois mort, elle ne ramène que les fagots qui lui plaisent ”. En effet, tout le bruit que l’on a mis en place, tout le dispositif, toute l’amplification, tout le déploiement de l’arsenal juridique pour condamner Ondo Ndong, Siyam Siwé et Etonde Ekoto, ressemblent plus à une machination où l’exemplarité de la sanction n’est qu’illusion !
Car, que veut combattre Amadou Ali ? Des délinquants ou le crime structurel ? S’il s’agit de combattre la criminalité économique, suffit-il d’offrir des têtes, ciblées au niveau du cercle dirigeant des entreprises parapubliques et publiques, pour mener la lutte contre les délinquants en col blanc ? Rien n’est moins sûr. En d’autres termes, qu’est-ce que la criminalité économique ?
C’est au début des années 90 que l’attention dans le monde s’est focalisée sur le phénomène de la criminalité économique. Les médias, les responsables politiques et la population, se montrent parfois indignés face à l’économie privée en général, aux milieux financiers d’affaires aux capitaines d’industrie et aux cercles dirigeants. Sont décriés leur attitude hautaine, élitiste, autoritaire, arrogante, leurs modes d’action et leurs comportements très peu transparents, frappants, hors normes, parfois carrément déviants, voire délinquants, peu soucieux de l’intérêt général, voire antisociaux, qui ont incontestablement instillé le doute quant à leur loyauté et leur honnêteté, leur finalité et leur crédibilité.
Il y a dans cette description plusieurs éléments : les délinquants en col blanc appartiennent bien au système, à la classe des possédants. Peut-on les isoler et prendre au cas, par cas, pour combattre la criminalité économique ? Là aussi, difficile à croire.
En effet, l’expression “ criminalité économique ” remonte à la seconde moitié du XIX ième siècle.
Pour l’école socialiste allemande et Karl Marx, surtout, (dans le Capital, en 1867), “ les conditions économiques et sociales imposées par le processus de production capitaliste étaient criminogènes ”. Elles engendrent non seulement une criminalité de besoin, mais aussi une criminalité d’exploitation et de profit commise par la bourgeoisie. Dans la même perspective, le Hollandais William Bonger, dans une étude en 1905 : “ Criminalité et conditions économiques ”, livre une description de la délinquance des possédants comme résultant de la maximisation de la logique spéculative et de la capitalisation.

Il y distingue trois types de criminalité économique : une délinquance de cupidité, tirant parti de toutes les occasions d’accroissement des profits ; une délinquance situationnelle, réalisée par des entrepreneurs en difficulté et cherchant à s’en sortir par toute une série de fraudes ; une délinquance professionnelle, durable, systématique et organisée. En d’autres termes, la criminalité économique est consubstantielle au système néolibéral et que ces crimes sont commis par des personnes respectables, de condition sociale élevée.
Ces différents théoriciens (Marx, Bonger, Rozengart), montrent bien le caractère systémique du problème et suggèrent en un certain sens que l’on ne peut combattre valablement un tel fléau sans s’attaquer aux racines du mal.
L’autre raison de douter de l’efficacité de l’Opération Epervier est dans les méthodes et la confection des listes. On l’a déjà écrit, Paul Biya veut pratiquer une politique d’unité nationale en envoyant à Kondegui des fils et des filles du pays, de toutes ethnies pour mieux satisfaire son clan ethnocentré ! En attendant, le développement de la criminalité économique dans le monde est tel qu’il faut renverser la vapeur et aller aux sources du mal : en commençant là où cela a commencé : par le chef de l’Etat

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