samedi 5 janvier 2008

AFFAIRE ETONDE EKOTO: KARAMBANI OU LES BOUCS EMISSAIRES

La presse au Cameroun, dans sa grande majorité, a préparé le terrain à l'emprisonnement de Edouard Etonde Ekoto. Il suffit de parcourir ses titres raccoleurs, ses manchettes orientées et autres pseudos investigations pour s'en rendre compte, ce que Sandrine E.E faisait justement remarqué dans un longue et très instructive interview à lire ICI.
Cependant, et c'est une bonne nouvelle, certaines interrogations commencent à voir le jour chez certains journalistes ou observateurs de la foire politique camerounaise. Il y a notamment ce billet paru dans le journal "La nouvelle expression" , qui n'est pas le dernier à avoir amplifié la propagande gouvernementale, où l'on parle de "boucs émissaires" à propos de l'affaire Etonde Ekoto. Et si l'homme de la rue se rendait compte que le pouvoir camerounais l'avait sciemment désinformé et trompé ? Ce n'est probablement qu'une question de temps...

L3E



Par Suzanne KALA LOBE

Karambani : ce terme signifie dans une de nos langues “ fouiller dans les poubelles des autres ”. On dit des journalistes, dans une expression argotique française, qu’ils sont “ des fouille-merde ”, c’est-à-dire qu’ils vont chercher au-delà des évidences et des apparences ce que cache une vérité restituée par une vision immédiate des faits. Et si le journalisme, c’est s’en tenir aux faits et aux faits seulement, l’autre aspect est de révéler la face cachée des choses, si on a l’intuition que tout n’est pas dit. Traquer derrière toute spectacularisation ce que l’on veut occulter en montrant trop. Le jeu politique est si complexe, ses règles tellement troubles que l’on peut laisser passer la condamnation du colonel Etondé Ekoto à 15 ans de prison, et Siyam Siwe à 30 ans sans chercher à comprendre à quoi joue le sphinx, aussi nommé son excellence Paul Biya, président du Cameroun ?
Car, dans les situations complexes ou pouvoir et argent sont mêlés, il ne faut jamais se fier aux apparences. On doit même essayer de lire une décision de justice en l’inscrivant dans une problématique : l’efficace est-il juste ?
Le karambani de cette semaine ou le toli se concentrera sur les événements qui ont conduit à la condamnation de deux barons du Rdpc. Il faut aller fouiller dans le méandres des motivations d’une décision de justice les raisons d’un verdict qui, au regard des fautes commises, pourrait être lu comme un verdict “ d’apaisement ”.
Le procureur aurait-il eu peur de faire la totale ou alors la question n’est-elle pas aussi simple que cela ? Siyam Siwe et Etonde ont-ils bel et bien distrait les sommes établies ou s’agit-il là de simples “ émoluments ” à eux autorisés lors de leur affectation à ces postes juteux ? Les a-t-on condamnés à moitié parce qu’ils avaient été trop loin dans l’usage de ces privilèges connus de toute la nomenclature ou était-on embarrassé pour rendre un verdict aussi terrible qui expédie à 50 ans de détention à la Odong Ndong ?

Si le temps peut réparer la relative instabilité ou fragilité de discernement d’une justice rendue dans un contexte de forte pression, les dégâts causés par la condamnation et le préjudice moral est lui, irréparable. Sort-on indemne d’une condamnation publique pour ectodermique ? Peut-on s’en relever ? La décision est-elle juste ?
Il y a un devoir moral à aller au-delà des attitudes normatives qui prescrivent le “ Bien et le Mal ” dans ces questions de détournement et d’abus de biens sociaux, pour ôter ces oripeaux horripilants de l’hypocrisie sociale qui font croire que le travail de nettoyage engagé depuis peu est une véritable tornade blanche.

Alors, faisons du karambani un devoir d’audace, en allant au-delà de ces évidences qui ne sont que des vérités paresseuses.
La presse écrite n’a pas raté l’occasion : les titres au quotidien remplissaient leur une de mots retentissants, de signes flamboyants et des photos affligeantes. Fulgurante fut la condamnation des deux comparses comme fut spectaculaire la mise en scène de leur comparution ou de leur arrestation. Scènes de vie dans un Dallas légendaire, les deux anciens barons étaient tombés en disgrâce et il avait fallu le faire savoir. Aucune humiliation ne leur sera épargnée !
Siyam Siwe, ancien ministre, ancien directeur général du Pad, devenu nouveau détenu, à 30 ans de prison, et celle d’Etonde Ekoto, le fougueux colonel, intempestif et indépendant, ancien délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Douala, devenu lui aussi nouveau détenu, à New Bell. Le procès qui aura duré douze mois a été une longue bataille factice et fastidieuse entre un procureur préoccupé à trouver les preuves et établir la faute, et des avocats persuadés que le droit finit toujours par triompher. Mais, que peut le droit lorsqu’une affaire dépasse la justice ? Que peut la justice lorsqu’on lui donne le droit d’abriter des conflits dans le jeu politique, dont on sait pourtant que le champ est miné par des guerres sanglantes, des rivalités saignantes, où tous les moyens sont bons pour éliminer l’adversaire ? Et si la justice avait été manipulée et instrumentalisée par le politique ? Comment ne pas penser à un règlement de comptes ?
Les deux condamnés les plus célèbres du contingent de personnes jugées dans l’affaire de détournement et d’escroquerie au Pad étaient des membres pleins du Rdpc. Ils avaient été désignés par le chef de l’Etat, comme nombre de leurs pairs à ces postes stratégiques pour le parti au pouvoir, afin de pouvoir aider au financement de la politique du PARTI.

Ils y étaient en toute connaissance de cause avec cette loi implicite qui les autorisait, à ces postes là, de bénéficier de quelques privilèges connus et sus de tous. D’où vient-il alors qu’ils soient lâchés par leur parti, dénoncés par leurs pairs et traqués sans aucune concession par une justice brusquement parée d’une certaine vertu ? En effet, il faut resituer le contexte poïétique et économique dans lequel la décision est prise, mettre en perspective le déroulement de carrière des différents condamnés et la chape de plomb d’une moralisation à géométrie variable installée depuis l’injonction du Fmi à Paul Biya de “ nettoyer les écuries d’Augias ”, en mettant un peu d’ordre dans son camp. Mais, l’opération de nettoyage, connue plus généralement sous le nom d’ “ Opération Epervier ”, amorcée en juin dernier avec au tableau de chasse des proies prestigieuses comme Odong Ndong, Belinga a un arrière-goût qui laisse de l’amertume sur le bout de la langue et des boutons au fond de la gorge. Les fins de règne ont ceci de particulier que la panique à bord emmène à prendre des décisions à la hâte, à l’emporte-pièce et à noyer le poisson.

Le débat autour de ces arrestations a pris deux directions : ceux qui soutiennent la décision du juge d’avoir condamné des voleurs si la preuve de la culpabilité est établie, et de respecter la loi, et ceux qui tribalisent la question, en estimant qu’il ne s’agit là que d’un rééquilibrage ethnique pour que toutes les ethnies se partagent les places dans les prisons, même si elles ne sont pas à égalité dans le partage du gâteau national !

En d’autres termes, la condamnation de Siyam Siwe et d’Etonde Ekoto n’aurait de sens que parce que Paul Biya veut réaliser l’unité nationale en prison de ces anciens serviteurs. Le dosage ethnique dans les détentions, pourrait donc ainsi sauver du marasme une nation qui serait au bord du gouffre, parce que le nombre de personnes interpellées et détenues est plus important en pays béti que nulle part ailleurs. Ces arguments traduisent bien combien la question de l’assainissement de la vie politique et économique du pays a été dévoyée de son sens réel et combien il y a instrumentalisation de la colère populaire des principes de rigueur et de moralisation pour sauver les trois dernières années de Paul Biya.

Car, tout se joue non pas pour sauver le pays, mais plutôt pour accommoder à la sauce bantou un Etat aux abois, en alerte, décomposé et sans contrôle central effectif. La bataille juridique qui s’est menée autour du cas d’Etonde Ekoto a tenté d’aller au fond du problème fondamental : le système de rétribution mis en place depuis le parti unique , qui le définit par le clientélisme consistant à rétrocéder des postes “ juteux ” à ceux qui ont rendu service à la nation, n’est-il pas un piège dont l’étau se resserre sans concession lorsqu’un membre du clan semble incontrôlable, devient plus autonome, fait preuve de résistance et refuse de céder à différents chantages ?

Je sais ! On se serait attendu à des Regards au vitriol, pour féliciter le juge d’avoir si bien appliqué la leçon… Mais, vous le savez, la politique sans l’éclairage du karambani, c’est la langue de bois. Et le karambani délie les langues comme l’histoire de ces boucs émissaires.

Source: LNO

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Pour que cesse les ragots sur cet homme, je vous suggere la lecture du temoignage du feu Samuel Eboua proche collaborateur d'Ahmadou Ahidjo dans son livre " une decennie avec le Président Ahidjo" paru chez l'harmatan en 1995 P.81-82, je cite:
"A 19h,la police,en faction à mon domicile me signale la visite de l'ex-colonel Etondè Ekoto. Il ne m'est pas possible de le recevoir, à cause du rendez-vous fixé à la personne qui m'attend........C'st seulement une fois arrivé à la maison que je rapproche cette surveillance policière de la visite de ex-colonel Etondè, deux heures plus tot, à mon domicile,où il n'a pas été reçu du reste. Ce dernier, mis à la retrait par anticipation pour des raisons certainement politiques plutot ue de mauvais gestion àl'Office National de Participation au Developpement, est sous surveillance discrète.Je le sais".
Je vous conseille cet ouvrage.
Bonne lecture....

Anonyme a dit…

La "justice" camerounaise a-t-elle pu prouver un seul mouvement de fond au depart du Port de Douala au profit du Colonel Etonde, que ce soit au Cameroun ou a l'etranger ? Non !

Il s'agit donc d'une condamnation arbitraire et rien de plus. Le pouvoir devra rendre des comptes sur ce choix...